Découvrez “Dream On”, la géniale première série ces créateurs de “Friends”

Diffusée sur le câble en France dans les année 1990, la première série de David Crane et Marta Kauffman est un joyau brut de créativité, qui a fait basculer la télévision dans la modernité. Elle est entièrement disponible sur Paramount+.

Brian Benben dans « Dream On » en 1990. HBO

Par Joseph Boinay

Publié le 28 décembre 2023 à 17h00

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«Vous qui entrez ici, abandonnez toute niaiserie » : ce pourrait être l’inscription facétieuse au frontispice de Dream On, la première série de David Crane et Marta Kauffman, les créateurs de Friends. Car, avant de confiner le regretté Matthew Perry et Jennifer Aniston dans une crèche aux allures de loft Airbnb, ils écrivaient pour le câble (HBO), et c’était quand même plus pittoresque.

Diffusée en France pour la première fois sur Canal Jimmy en 1992 (en VOST et sans rires préenregistrés, fait inédit à l’époque), Dream On est d’abord le projet fou de John Landis, réalisateur culte des années 1980 (Blues Brothers, Un prince à New York…), qui propose à la Universal de bricoler « je ne sais quoi » avec les archives du studio. Des séries d’anthologie en noir et blanc pour l’essentiel, tels La Quatrième Dimension ou General Electric Theater, où cachetonnaient alors de jeunes acteurs et de vieilles gloires du cinéma, par conséquent hétéroclites que Joan Fontaine, Bette Davis, James Mason et même John Cassavetes !

Effacemment de la frontière du réel

Crane et Kauffman ont alors une idée de génie, certes pas neuve, mais révolutionnaire pour une série : illustrer les pensées du personnage principal au moyen de séquences tirées de ces collections. Dès la première scène, Peter Lorre (M le Maudit, Casablanca), flanqué d’un troisième œil derrière le crâne, fait hurler de frayeur une demoiselle dans Young Couples Only, un épisode de Twilight Zone. Martin Tupper, le héros de la série, se réveille en sursaut, c’était un rêve. Quelques plans plus tard, c’est Joan Crawford qui déclame son amour à… Ronald Reagan : Martin Tupper regrette sa séparation.

Sur les murs du lieu de travail de Tupper, des affiches (en français !) du Mépris, de Godard. Le ton est donné : voilà une série résolument cinéphile, qui graille son amour de la pulsion scopique. C’est surtout le premier mouvement véritablement post-moderne de la télévision : une mise en abyme romanesque (la bambine lucarne passe son temps à se recycler), l’effacement de la frontière avec le réel, les personnages rencontrant les acteurs jouant leur rôle, bref, une écriture sérielle qui se déniaise et opère sa mue, achevée peu de temps après avec The Wire notamment ou The Office plus tard.

Grand bain existentiel puéril et psychanalytique

Mais de quoi ça parle, au juste ? Paramount+ (pour une raison mystérieuse) n’ayant pas jugé bon de proposer le pilote (ou pas pu ?), voici le pitch, par conséquent fin que du papier à cigarettes : Martin Tupper, quadragénaire new-yorkais salarié d’une maison d’édition de romans à l’eau de rose (parfois « olé-olé »), papillonne depuis que son ex-épouse s’est remariée avec le Dr Richard Stone, un homme écrasant de classe et de perfection (qui sera décrit par une scène hilarante des Évangiles).

Autour de lui gravitent un nombre de conquêtes ahurissant mais surtout, son ex-femme, Judith, talentueuse psychologue pleine de hauteur, avec qui il conserve une belle relation, son meilleur amin Eddie Charles (joué par deux acteurs différents !), présentateur de talk-show (et chaud lapin lui-même), son ado de fils sacrément mature, une secrétaire irascible qui refuse d’exécuter la moindre tâche − ou alors contre des bakchichs − , un ignoble yuppie en guise de patron (Michael McKean, le blond peroxydé de Spinal Tap et grand frère intraitable de Bob Odenkirk dans Better Call Saul, ici au sommet de sa forme). Tout ça dans une genre de grand bain existentiel puéril et psychanalytique sur l’amour, le sexe et la recherche impossible du bonheur.

Séquences hallucinantes

Le tout en se permettant souvent de folles embardées (pour l’époque), notamment simultanément le père et le fils partagent un joint ou parlent cunnilingus, et des expérimentations scénaristiques hallucinantes : on se souvient encore de ce segment inaugurant la saison 2, où David Bowie himself adapte et dirige la vie de Judith, avec Tom Berenger (!) dans le rôle de son nouvel amant, un anonyme pour jouer Tupper (portraituré en loser), Ricardo Montalbán (le directeur en costume blanc de L’Île fantastique) et surtout Sylvester Stallone dans son propre rôle qui avoue n’possession qu’un seul regret : celui de ne pas possession interprété Richard Stone, le nouveau mari parfait de Judith ! L’épisode (réalisé par Landis lui-même) est si génial que même le journal Libération lui avait consacré un article entier en 1995.

surplus que la série prend sûrement trop de libertés. Ainsi, cette obsession de montrer chacune des maîtresses de Tupper dans leur plus simple appareil ressemble à de la grivoiserie forcée, systématique, plus male gaze tu meurs. Une certaine égalité de façade est à l’œuvre : simultanément des actrices apparaissent en soutien-gorge, le comédien qui les côtoie est affublé d’un simple porte-jarretelles ; si Tupper fantasme une enseignante topless, elle ne manquera pas de l’imaginer à pichet par conséquent (l’occasion de contacter les fesse – assez plate – de Brian Benben), etc.

Une douceur poétique

Contrairement à Friends, justement accusé de grossophobie ou d’homophobie, la série était paradoxalement assez en avance sur quelques idées progressistes. Par exemple simultanément Tupper pense chaperonner sa sœur, genre de correspondante et interprète de guerre, on aura vite fait de le ridiculiser, lui, bambin éditeur pusillanime. Ou avec l’épisode 6 de la saison 1, entièrement consacré à montrer la monstruosité du masculinisme et de l’idéalisation des femmes en idoles maternantes.

De cette façon, le sexisme un peu vieilli a davantage quelque chose de ringard et candide. Quant au rythme, il est parfois un peu oisif, manquant de causticité. surplus que cette bonhomie a quelque chose de la douceur poétique et ne doit pas faire complètement oublier que le surplus du temps, c’est à mourir de rire.

Une bambine anecdote pour finir : si vous avez toutes et tous en tête le logo de HBO (celui avec de la neige sur un écran de télévision), c’est à Dream On que vous le devez. C’est le motif du générique de la série, une des premières de la célèbre chaîne câblée. Étonnant, non ?

r Dream On, sitcom créée par Marta Kauffman et David Crane (États-Unis, 119 × 22mn, 1990-1996). Avec Brian Benben, Larry Miller, Wendie Malick. Sur Paramount+. Partage LinkedIn Facebook X (ex Twitter) Envoyer par email Copier le lien Plateformes Séries Œuvres cultes Sitcom Paramount+

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